Pause littéraire : Mille façons pour parler des arbres

Publié par Marie-France Chocot

Pause littéraire : Mille façons pour parler des arbres

Mille façons pour parler des arbres.

La première que je vous propose est issue d'un roman d'Erri De Luca, Trois chevaux.

Mais petit à petit il y en aura bien d'autres.

[...] Ainsi toute la journée je suis dans un jardin où je m'occupe d'arbres et de fleurs, où je reste silencieux de bien des façons pris par quelque pensée de passage, une chanson, la pause d'un nuage qui enlève au dos soleil et poids.

Je m'en vais dans le champ avec un jeune pommier à planter.

Je le pose par terre, je le tourne, je regarde ses branches à peine ébauchées prendre leur place dans l'espace qui les entoure.

Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches.

Le moteur qui pousse la lymphe vers le haut dans les arbres, c'est la beauté, car seule la beauté dans la nature s'oppose à la gravité.

Sans beauté l'arbre ne veut pas. C'est pourquoi je m'arrête à un endroit du champ et je lui demande : "Ici, tu veux ?"

Je n'attends pas de réponse, de signe dans la main qui tient son tronc, mais j'aime dire un mot à l'arbre. Lui sent les bords, les horizons et cherche l'endroit exact pour pousser.

Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur le soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.

S'il vient d'une pépinière et qu'il doit prendre racine dans un sol inconnu, il est confus comme un garçon de la campagne à son premier jour d'usine. Je le promène ainsi avant de creuser son emplacement.

[...] Je regarde les terres, je pense au jardin. Cultiver des arbres donne beaucoup de satisfaction.

Un arbre ressemble à un peuple, plus qu'à une personne. Il s'implante avec effort, il s'enracine en secret. S'il résiste, alors commencent les générations de feuilles.

Alors, tout autour, la terre l'accueille et le pousse vers le haut.

La terre a un désir de hauteur, de ciel. Elle pousse les continents à la collision pour dresser des crêtes.

Elle se frotte autour des racines pour se répandre dans l'air par le bois.

Et si elle est faite de désert, elle s'élève en poussière. La poussière est une voile, elle émigre, elle franchit la mer. Le sirocco l'apporte d'Afrique, elle vole des épices aux marchés et en assaisonne la pluie.

Le monde, quel "maestro" !

Erri De Luca, Trois Chevaux, roman traduit de l'italien par Danièle Valin

Edition Gallimard, pages 20-25

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